Les victoires se confirment
13 décembre 2023Pour une agriculture dynamique et forte de ses Hommes
21 décembre 2023Si la Première ministre a répondu favorablement aux demandes professionnelles sur les redevances phyto et eau, de nombreux sujets d’inquiétude demeurent. La FNSEA et JA demandent aux pouvoirs publics d’établir un véritable climat de confiance avec les agriculteurs sur l’objectif de souveraineté alimentaire et les nécessaires transitions écologique et énergétique et que les discours affichés se traduisent concrètement par de la création de valeur sur nos territoires ruraux.
Hervé Lapie et Pierrick Horel, SG FNSEA et JA, comment avez-vous accueilli les annonces de la Première ministre sur la redevance pollution et eau lors de votre rencontre, le 5 décembre ?
Hervé Lapie : L’entretien avec la Première ministre a été ferme et déterminé. Nous avons eu le sentiment qu’elle était à notre écoute et qu’elle avait le souci d’accompagner les agriculteurs plutôt que de les grever de contraintes diverses et variées. Elle a bien vu que les actions menées sur le terrain à l’initiative de la FNSEA et JA, le retournement des panneaux d’agglomération, les slogans développés « on marche sur la tête »…, traduisaient un vrai malaise des agriculteurs. On leur demande de s’inscrire dans une trajectoire de transition écologique et simultanément on les charge d’incohérences et d’injonctions contradictoires. Nous lui avons fait remarquer également que les dossiers, tels que le règlement SUR pour les produits phytosanitaires et la directive IED pour l’élevage, le glyphosate, avaient « bougé » sur le plan européen, alors qu’ils sont complètement bloqués en France par les positions dogmatiques des pouvoirs publics. Je pense notamment aux augmentations programmées de 22 % de la redevance sur les pollutions diffuses et de celle sur les prélèvements d’eau qui peut dépasser 100 % voire davantage dans certains bassins. Sur ce sujet, elle a compris le message et elle a décidé de renoncer aux augmentations programmées. C’est une victoire !
Pierrick Horel : Chez les Jeunes Agriculteurs, nous considérons que l’abandon des augmentations sur la redevance des pollutions diffuses et la redevance eau comme une victoire syndicale, un « reset » pour reprendre les propos de la Première ministre. Notre réseau avait de fortes attentes en la matière et il était de notre devoir d’aller chercher cette victoire. De ce point de vue, nous sommes satisfaits que ce rendez-vous avec Elisabeth Borne ait permis d’atteindre cet objectif. Autre point positif, nous avons obtenu des précisions sur le Pacte et l’accélération du calendrier de la Loi d’orientation agricole. La concertation lancée en 2022 visant à encourager l’accès au métier d’agriculteur pour assurer à la fois la transmission des exploitations, l’installation des jeunes et la transition écologique devrait aboutir prochainement avec la création d’un outil France Service Agriculture, un guichet unique dédié pour accueillir et accompagner les porteurs de projet et ceux qui transmettent leur exploitation. Quant au parcours législatif de la loi d’orientation, son examen devrait être inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale avant ou après le Salon de l’agriculture. Ce sera l’occasion de parler davantage d’agriculture, de sensibiliser le chef de l’Etat et de faire du lobbying auprès des parlementaires.
Des règles prairies complètement inadaptées
L’avez-vous sensibilisée à d’autres sujets ?
HL : Nous avons évoqué les prairies. Un vrai sujet où l’on marche sur la tête : on interdit aux agriculteurs de retourner les prairies sous peine de sanctions alors que, conséquence de la crise de l’élevage, les éleveurs décapitalisent voire se séparent de leur cheptel. Nous avons évoqué également le loup dont le développement de sa présence remet en cause le métier de nos éleveurs. Il reste encore 22 loups à abattre d’ici la fin de l’année : il y a de fortes chances que ses effectifs continuent d’augmenter avec tous les problèmes que cela pose aux éleveurs. Autre sujet que nous avons mis sur la table, la directive SUR et le plan Ecophyto pour lequel il faut trouver un indicateur plus fiable que le Nodu et partagé au sein de l’Union européenne pour mettre tous les agriculteurs sur un pied d’égalité. Nous avons également sensibilisé la Première ministre sur la mesure fiscale élevage inscrite dans le projet de loi de Finances pour 2024. Si elle constitue une réelle avancée pour neutraliser l’effet de l’augmentation comptable de la valeur des bovins, elle doit être accompagnée d’un dispositif équivalent pour les cotisations sociales. Nous lui avons demandé également que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes procède à davantage de contrôles dans les grandes surfaces pour vérifier la traçabilité des produits. Le consommateur est trop souvent trompé sur l’origine de ce qu’il achète. Au bout du compte, ce sont nos agriculteurs qui perdent des parts de marché et nous importons de plus en plus de produits alimentaires ne respectant pas nos normes de production, on marche sur la tête !
PH : Bien entendu. Il reste encore de nombreux sujets sur la table non résolus. Je pense à la directive sur les émissions industrielles (directive IED) qui doit être adoptée prochainement et à laquelle nous nous opposons fermement en l’état pour ce qui est de l’abaissement des seuils pour les porcs et les volailles, alors que le texte voté par le Parlement européen nous paraissait satisfaisant. Il y a le ratio prairies, un sujet de forte préoccupation dans l’Ouest et le Nord-Ouest de la France. Dans ces régions où le cheptel bovin diminue, il est interdit aux agriculteurs de retourner les praires sous peine de sanctions. Cela est inacceptable. Le Gouvernement devra également apporter des réponses aux versements des aides Maec. On nous dit qu’il n’y aurait pas suffisamment de fonds pour satisfaire les besoins alors que les agriculteurs se sont engagés dans des démarches agroécologiques. Ceci étant, le cœur du sujet (pollutions diffuses et eau) ayant été atteint, nous avons levé la mobilisation sur le terrain, tout en maintenant une forte pression sur le gouvernement et sur le ministre de l’Agriculture.
La souveraineté alimentaire questionnée
Quelle suite allez-vous donner à cet entretien ?
HL : Nous allons continuer à défendre nos positions, et nous avons alerté la Première ministre sur le nécessaire renouvellement de l’exemption des jachères dès 2024, lors du prochain Conseil des ministres de l’Agriculture. Les agriculteurs ne comprennent pas que l’on organise la baisse de la production agricole en Europe, alors que simultanément on vote une loi en France pour proscrire toute artificialisation des terres agricoles. Une autre priorité est d’obtenir le retrait de la directive IED, car les nouveaux seuils pour les porcs et les volailles sont inacceptables. Si tel n’était pas le cas, nous courrions vers une véritable catastrophe avec le déclin organisé de ces productions avec à la clef des importations supplémentaires… Là encore nous continuons à marcher sur la tête. Nous avons renouvelé notre opposition à l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur qui remet en cause notre souveraineté alimentaire en viande bovine, sucre et éthanol, et qui ne prévoit pas de clause miroir. Sur ces accords de libre-échange d’ailleurs, nous déplorons celui qui vient d’être signé avec la Nouvelle-Zélande qui traduit bien le grand écart entre l’objectif de souveraineté alimentaire et la réalité. En effet, celui-ci prévoit de nouveaux contingents d’importation de viande ovine, alors que nous sommes lourdement déficitaires en la matière et que malgré une réglementation EGalim dont nous demandons la pleine application et son respect, les distributeurs jouent actuellement la carte de l’origine étrangère des produits dans les rayons, comme la restauration hors domicile, pour contenir la hausse des prix… n’en rajoutons pas !
PH : Pour l’instant, nous ne prévoyons pas de mobilisation d’envergure sur le terrain. Néanmoins, aux Jeunes Agriculteurs et à la FNSEA nous restons vigilants et mobilisés en restant en contact permanent avec le ministre de l’Agriculture au niveau national pour faire prévaloir notre point de vue sur les sujets encore en suspens. Mais pour ce qui est de cette mobilisation, je retiens qu’elle a été réussie, je dirais même « propre », non violente et sans débordements. Les actions syndicales qui se sont déroulées sur tout le territoire avec le retournement des panneaux d’entrée d’agglomérations et des communes ont marqué l’opinion et donc les pouvoirs publics. C’était l’objectif.
Quel bilan tirez-vous de cet entretien ?
HL : Nous avons trop de discours en France et les actes ne suivent pas. Nous espérons que la Première ministre a entendu le message d’établir avec la profession agricole une vraie trajectoire de confiance pour accompagner les transitions environnementales dans lesquelles nous sommes prêts à prendre nos responsabilités en maintenant un impératif de production de l’alimentation de nos concitoyens et nos revenus. Elisabeth Borne en a d’ailleurs convenu en reprenant notre propos : pas d’interdictions sans solutions. L’occasion en est donnée avec le Pacte et la Loi d’orientation agricole qui va venir en discussion au Parlement. Nous espérons que le président de la République s’en saisira, lors du prochain Salon de l’Agriculture, pour dresser de réelles perspectives pour notre agriculture afin que nous cessions de marcher sur la tête et pour donner aux futures générations l’envie d’entreprendre en agriculture !
PH : Quand on a une personnalité en face de nous en mesure de nous écouter et de répondre à nos attentes, le dialogue fonctionne et avance dans le bon sens. Nous avons eu un échange constructif avec la Première ministre et une sortie positive de cet entretien. Et même si nous ne sommes pas toujours d’accord, on finit par trouver un consensus. Je regrette simplement qu’il ait été nécessaire de mettre en œuvre une forte pression sur le Gouvernement pour en arriver là et accéder à la Première ministre. Le ministre de l’Agriculture aurait pu régler le dossier en amont. Si le résultat est satisfaisant, je reste mitigé quant à la forme pour y parvenir. Surtout qu’il ait été nécessaire d’obtenir un rendez-vous avec la Première ministre pour faire « bouger » les pouvoirs publics sur les dossiers agricoles.
Actuagri – interview du 13 décembre 2023